Audrey Tcherkoff
Q1 : Qu’est-ce que l’économie positive ?
C’est LA question : c’est celle qui fait passer le long terme avant le court terme. C’est le capitalisme patient, sur un temps long, qui n’a pas des conséquences désastreuses. L’humanité ne pourra pas survivre si nos politiques et dirigeants économiques ne pensent qu’à leur réélection. Les sociétés qui ont renoncé à s’occuper du long terme l’ont payé : fin des ressources… Il faut impérativement imaginer de nouveaux modèles de rentabilité qui ne soient pas fondés sur la « moindre nocivité » mais sur l’impact positif que l’entreprise peut avoir sur la société, sur son environnement ; Il s’agit de se poser la question ; comment est-ce que moi, entreprise, je peux apporter croissance et développement dans un cadre plus équitable. Placer l’intérêt général avant le nôtre. Voir l’environnement pas comme un centre de couts. De même accompagner les femmes pour qu’elles aient les mêmes opportunités que les hommes dans le monde.
VDB : Capitalisme patient, j’aime beaucoup. Ce n’est pas de l’anti capitalisme, c’est un autre capitalisme.
Q2 : Nous sommes à une charnière sociétale, qu’attend-on des entreprises ?
Depuis 1 an on voit que l’on produit autrement, on consomme autrement, on se déplace autrement… Quelque chose qui est vécu par 4 milliards d’êtres humains. Question du sens qui revient de manière prégnante. La pandémie ne serait-elle pas l’occasion de changer quelque chose dans notre rapport au monde ? S’agissant des entreprises : je suis convaincue qu’il y aura un après et un avant covid. On a beaucoup travaillé avec Jacques A. sur l’économie de la vie : la crise a révélé le manque d’attention porté à l’économie de la vie (la santé, la gestion des déchets, l’alimentation, la gestion de l’eau). Le sous-investissement, notre dépendance… Tout cela a été mis en lumière et augmente la probabilité de crises futures.
Nous avons fait une proposition dans un livre : elle explique comme réorienter massivement les investissements vers l’économie de la vie (en utilisant les fonds souverains, l’épargne salariale). Le message de l’économie positive c’est vraiment de mettre l’humain au cœur du débat : gouvernance ouverte et durable, renforcer la participation des jeunes générations (exemple : CA des jeunes), etc.
Les patrons nous le disent : on a un problème de rétention des talents. Devient un véritable enjeu business pour les entreprises qui doivent se pencher sur la durabilité de leur modèle. Si elles ne le font pas pour les bonnes raisons, elles le feront pour le business.
Q3 : Que sont vos indices de positivité des entreprises ?
Indice de positivité : a fait l’objet d’un rapport « Vers une économie positive » (2013) à la demande du Président Hollande. Assez précurseur et novateur à l’époque : mettre tous les acteurs autour de la table, trouver des KPIs de mesure de la performance.
Une commission s’est créée pour créer ce rapport ; est né un indice qui prend en compte (un peu comme des critères ESG) les aspects environnementaux, etc. Et en plus : tous les collaborateurs sont embarqués dans la création de cet indice. Chaque entreprise doit se l’approprier. 40 indicateurs simples, faciles à aborder par tous. Cet indice a aussi une vocation universelle : aucune spécificité liée à la taille ou à la nationalité de l’entreprise. Analyse des 5 dernières années et des 5 prochaines. Quand l’indice est calculé, tout une feuille de route est présentée. Meilleure production de richesse, meilleure réduction de l’impact environnement, bien être des collaborateurs.
Aujourd’hui on calcule 1/3 des entreprises du CAC et beaucoup de PME. Avec Transdev : nous avons massifié; on calcule l’indice du Groupe et par filiale.
Parenthèse : lorsque l’on a créé l’IEP, je voulais que ce soit une entreprise qui ouvre son capital. Lors de notre tour de table, nous avons fait rentrer LVMH, Veolia… Ils sont rentrés parce que l’on n’a pas d’outils français et même européens. La création de Vigeo a été une bonne chose mais avec la revente à Moody’s on a perdu l’esprit. La plateforme impact d’Olivia Grégoire est une bonne chose mais il faut aller plus loin dans l’exploitation de la donnée, c’est un point que nous avons remonté.
Q4 : Est-ce que les gens sont prêts agir individuellement ?
Sur la société civile, c’est sans appel : 92% des citoyens dans les pays du G20 attendent des changements concrets après la crise.
Auprès des salariés en France : de manière unanime, tous les salariés attendent que leur dirigeant s’implique vraiment dans les sujets de transition. Et ils sont convaincus que si eux font ça à leur échelle, ce sera une goutte d’eau dans l’océan mais que si les dirigeants s’en saisissent, ça ira plus loin. Et comme évoqué précédemment, c’est un enjeu business. Les entreprises doivent s’en saisir. Mais reste l’urgence du court terme pour les entreprises qui ont perdu beaucoup d’argent : il peut être difficile de faire un pivot.
Q5 : Pourquoi les femmes ont-elles un rôle particulier à jouer ?
La crise du covid a fait des ravages aussi dans la quête de l’égalité femme-hommes : il faut agir vite. Cette crise continue d’impacter les femmes tous les jours de manière énorme. Les gens sont surpris des chiffres que je partage. Il y a une baisse de l’accès à la scolarisation, l’explosion des violences, la baisse de l’accès à la contraception et à l’avortement, des métiers peu valorisés, augmentation de la charge mentale avec le télétravail.
D’un point de vue global, l’égalité parfaite ne sera atteinte que dans 135 ans. Entre mars et mai 2020, 1/3 des femmes ont arrêté de travailler (pour s’occuper des enfants). 11 millions : nombre de jeunes filles sorties du cercle scolaire car précarisation du cercle familial.
Il faut prendre la mesure de l’urgence et faire pression sur le gouvernement pour que les différents plans de relance prennent en compte les inégalités femmes/hommes. Il faut agir très vite.