Guillaume Herisson
Q.1 : Comment l’économie circulaire contribue-t-elle à la réinsertion professionnelle ?
G.H : Ça reste de mon point de vue mais pour moi les acteurs de l’ESS ont toujours favorisé l’émergence des modèles d’économie circulaire. Le plus vieil exemple d’acteur de l’économie circulaire issu de l’ESS pour moi c’est Emmaus avec les modèles ont été répliqués depuis Chaque citoyen va pouvoir donner de vielles affaires, des livres… Ce système a permis de démocratiser et lancer pleins de mouvement d’économie circulaire. Ce type d’acteurs agit sur le point crucial qu’est la collecte des points de micro-gisements partout sur le territoire
Q.2 : Au début une approche philanthropique. Aujourd’hui plus de business ?
G.H : pour nous acteur de l’ESS, l’économie circulaire nous a permis de nous positionner sur des activités « non matures » - certains diront non marchand, mais ce n’est pas le cas. Alors oui des acteurs comme Emmaüs ou ceux du médico-social sont sur du non marchand. Mais nous acteurs de l’ESS, acteurs de l’insertion nous avons une réalité économique.
Et nous, nous sommes sur un segment non industrialisable. Les flux de ce segment ne permettent pas de mettre du capex et d’industrialiser. Cette spécificité nous a permis de nous positionner en tant qu’acteur clé. Notre modèle au sein de l’insertion c’est d’investir sur les hommes : beaucoup d’hommes, des process avec beaucoup de répétition… Tous ces facteurs la font que l’on peut mettre très rapidement des gens au travail.
Dès le 1er jour la personne peut travailler. Très vite les personnes peuvent travailler et à temps plein.
Q.3 : Ce que vous défendez : “Tout le monde est employable”. Selon vous chaque téléphone qui traine dans un tiroir peut générer du business et contribuer à la réinsertion d’une personne c’est bien ça ?
G.H : Tout à fait. Ares a démarré en 1991 avec des partenariats avec la SNCF notamment qui voulait résoudre ses problématiques d’errance dans les gares. ARES est un acteur assez important sur le réinsertion professionnelle (1 000 personnes employées). Il a fallu qu’on se professionnalise et que l’on investisse. Et l’économie circulaire étant propice au type d’emplois que nous favorisons, c’est un axe stratégique et un pilier de notre développement. Deux points importants :
- L’économie circulaire : un terrain de jeu favorable pour Ares. Ce modèle bénéfice d’une bonne image qui favorise la prise de confiance en soi des personnes qui travaillent pour nous. Avant l’économie circulaire c’était associé au tri des déchets, c’était « sale ». Maintenant, on a ce message que l’on valorise des parcours et développe des compétences tout en prenant soin de la planète. C’est donc très valorisant pour les personnes.
- L’économie circulaire se professionnalise et génère de nouveaux métiers : il faut que l’on profite de cette tendance pour créer des filières professionnalisantes sur ces nouveaux métiers du re-emploi et du recyclage. Ces métiers seront loin de ceux du tri des déchets - qui seront d’ailleurs certainement assuré par des robots - et beaucoup plus nombreux.
Q.4 : Effectivement, nous assistons à une revalorisation de l’image de l’économie circulaire. Et elle se professionnalise beaucoup également. Est-ce qu’il n’y aura pas besoin de montée en compétences ? Est-ce que le risque ce n’est pas que les personnes que vous employez soient à nouveau marginalisées ?
G.H : Nous avons créé en 2003 une de nos activités basée sur le démantèlement de parcs informatiques avec l’arrivée des PC portables, etc. A l’époque nous recyclions des tubes cathodiques… Aujourd’hui il n’y a plus de tubes cathodiques mais des smartphones à 1 000 euros. Et nous nous sommes adaptés. Notre métier évolue constamment. Notre métier change. Aujourd’hui, les personnes ne travaillent pas sur les mêmes objets qu’il y a 20 ans. Quand on travaille avec un client type Econocom, on travaille avec plus d’étapes : il s’agit de fournir un équipement qui fonctionnera comme neuf. Les étapes aujourd’hui : brancher les téléphones portables, lancer le logiciel d’audit, etc.
Je peux faire le parallèle avec une autre activité que l’on a avec Recyclivre. C’est un bon exemple de changement d’échelle et de professionnalisation. Nous gérons l’intégralité de la logistique de Recyclivre. On a commencé avec eux dans un petit atelier en 2008 avec 1 500 livres et aujourd’hui on expédie près d’1 millions de livres par an dans un entrepôt de 6 000m2. On a professionnalisé l’approche mais dans une démarche partenariale, nous participons à compléter l’image environnementale de son modèle avec notre impact.
Q.5 : petite question, combien de personnes sont impliquées dans les étapes que vous évoquiez plus haut ?
G.H : En fait, autour d’un parcours nos mettons en place un trio qui est la clé de la réussite : un chargé d’accompagnement social et professionnel (du recrutement de la personne à la sortie vers l’emploi), un chef d’équipe (personne clé dans le processus – souvent meilleurs que dans l’industrie classique car prépondérance de la transmission et de la formation – avec la satisfaction de voir partir les meilleurs éléments chaque jour pour les voir remplacer par des personnes en difficulté) et enfin un coach emploi (la personne qui va aider à se préparer à des entretiens d’emplois). On doit s’organiser pour être dans un turnover permanent. Ce que l’on dit aux personnes qui rejoignent ARES : « Vous n’êtes pas la pour rester. L’objectif c’est que vous trouviez un emploi durable ailleurs. »
Mais la plus grosse problématique pour nos équipes, c’est le manque de confiance en soi et respect de soi : et au-delà de notre accompagnement vers l’emploi, nous devons accompagner la personne dans sa recherche d’estime de soi, sinon la personne finit par se retrouver à nouveau chez nous. Il s’agit de retrouver confiance en soi et valoriser son parcours. Et avoir le sentiment d’être utile et d’avoir sa place dans la société.
La crise sanitaire que nous avons vécu a fait apparaitre au grand jour la fracture numérique : ce programme (Emmaus connect) a montré que le vieil ordinateur avait beaucoup de valeur pour des familles défavorisées qui avait un smartphone pour 6. Pendant le confinement nous avons travaillé d’arrache-pied pour pouvoir fournir à des enfants des ordinateurs pour qu’ils puissent travailler. Quand on se bat, qu’on mobilise Econocom, des DSI de grands groupes, pour une telle cause… c’est très valorisant pour les personnes qui travaillent pour nous.
Q.5 : Qu’est-ce qu'une entreprise responsable aujourd'hui ?
G.H : J’écarte la question climatique dans ma réponse car aujourd’hui c’est plus ou moins un prérequis. Être responsable c’est fédérer ses parties prenantes autour de sa raison d’être et articuler son impact. La raison d’être doit s’incarner dans l’entreprise.
La responsabilité pour les grandes entreprises émerge aussi de l’intérieur, des salariés qui sont en demande de responsabilité. Sur les aspects sociaux, l’entreprise peut agir sur le développement des compétences, diversité et inclusion, etc.
La responsabilité est aussi dans le maintien dans l’emploi, le choix de partenaires et prestataires à haute valeur ajoutée sociale. On doit intégrer dans les consultations la condition de haute valeur ajoutée sociale et éduquer les acheteurs sur le mieux disant social dans les clauses d’achat responsable. Mettre l’humain au cœur des préoccupations. On a encore beaucoup à faire. Cela peut passer par des lois, mais cela doit aussi passer par le secteur privé. Vous l’avez dit, M. Bouchard est discret sur le sujet : parce que à l’époque peut-être c’était opportuniste, mais aujourd’hui cela peut contribuer à la fierté des salariés.
Q.6 : Comment faire bouger les lignes, individuellement, pour une société plus responsable ?
G.H : Il faut faire preuve d’inventivité. C’est la grande particularité des acteurs de l’ESS. Nous fonctionnons avec des budgets restreints : c’est dans notre adn de créer et d’inventer. C’est notre responsabilité de casser les barrières et de travailler avec des grands groupes.
Nous avons fait des joint-ventures sociales (avec SEB et Vinci). Pour moi, ce mouvement-là correspond parfaitement aux aspirations des nouvelles générations (cf. entretien de David ce matin qui a vu une jeune fille très intéressée par la RSE). En joint-venture, on noue un lien plus étroit que celui entre un client et un fournisseur et c’est plus facile pour nous derrière car nous sommes inscrits dans la pérennité, on peut se focaliser sur la qualité de notre accompagnement. Le monde du numérique : un des secteurs les moins avancés dans les achats responsables. Cela change mais c’est long. Commencer par les offres d’achats publics. Il faut créer un élan. Se responsabiliser – renforcer la législation.
Q.7 : un mot pour conclure ?
G.H : Il faut faire preuve d’inventivité. La crise nous a montré l’état de l’urgence sanitaire, sociale, sanitaire, économique et climatique. Il faut trouver des moyens de se réinventer. Trouver des moyens d’inclure. Il faut que les dirigeants nous fassent confiance et travaillent avec nous. Vers une complémentarité.